Peut-on parler d’un échec de la politique revendiquée par Nicolas Sarkozy en Seine-Saint-Denis ?
Pour traiter de la Seine-Saint-Denis en tant que telle, il faudrait regarder des chiffres concernant ce département sur une période longue.
La politique de Nicolas Sarkozy est la politique de la police. La question est donc : comment analyse-t-on l’action de la police ? On l’analyse avec les indices de productivité qui sont le taux d’élucidation, le nombre de gens interpellés et le nombre de personnes renvoyées devant les juridictions.
Sur ces critères, la productivité de la police a fortement progresse depuis 5 ans.
pour ce qui relève de la criminalité, on constate que les atteintes aux biens sont en baisse. Pas seulement du fait de l’intervention de la police mais AUSSI parce que les gens installent de meilleures serrures ou ont des alarmes dans leurs voitures. Les infractions économiques et financières ont baissé aussi. Enfin on compte de moins en moins de vols sans violence. Par contre, les vols avec violence LE chiffre EST en constante hausse depuis 12 ans. Avant on il s’agissait essentiellement de violences acquisitives. Les violences physiques non crapuleuses, sans vol, augmentent depuis deux ans deux fois plus vite que les violences acquisitives.
Les auteurs de cette violence, dans les rues, sont des jeunes, souvent mineurs.
L’augmentation des violences physiques non crapuleuse est marquée par trois phénomènes. Le premier est la violence intrafamiliale. Les femmes et les mineurs sont désormais mieux accueillis et portent plainte dans de meilleures conditions. Beaucoup a été fait pour qu’ils puissent porter plainte, c’est le même phénomène que pour l’inceste ou le viol, il y a quelques années. Ce phénomène est une révélation plus qu’une augmentation. Deuxièmement les affrontements sont plus nombreux avec les forces de police. La reconquête du terrain crée des frictions. Troisièmement, la société est dans un tel état de violence, que de plus en plus de gens décident de régler leurs comptes plutôt que de faire appel à la police ou à la justice.
C’est un problème social général, auquel le ministère de l’Intérieur a aussi sa part de responsabilité mais partagée avec toutes les institutions (école, famille, autres structures gouvernementales).
Le problème de la délinquance est aussi à lier avec la gestion des effectifs policiers. Avec les départs à la retraite par anticipation depuis 1996 et l’avènement des 35 heures, sous le précédent gouvernement, les effectifs se sont réduits.
La politique visant à racheter des heures aux policiers afin qu’ils travaillent plus, et le recrutement massif de nouveaux policiers est lente à remettre des policiers sur le terrain. Et ceux qui arrivent sont plus jeunes et moins expérimentés. De plus, les policiers sont souvent plus efficaces sur des affaires graves que sur des choses moins graves. Ils seront plus efficaces pour enquêter et arrêter un criminel que sur une affaire de vol de sac à main.
Un autre frein à la baisse de la délinquance est le manque d’un dispositif pour les magistrats pour punir les petits et les moyens criminels. Les magistrats ne sont pas responsables. La réponse pénale est inadaptée. Police et magistrature se plaignent mais la logique de confrontation n’apporte aucune solution.
Il faudrait convoquer d’urgence une conférence nationale de police judiciaire pour trouver les solutions adaptées.
Plusieurs syndicats de policiers, dont le Syndicat National des Officiers de Police (SNOP), dénoncent la pression mise sur les résultats. Quelles sont les limites de l’affichage de la lutte contre la délinquance ?
– La question n’est pas sur l’augmentation ou la baisse de la délinquance mais dans l’augmentation ou pas de la qualité ou de la productivité des services.
Il faut sortir de la culture du chiffre, c’est l’élucidation qui compte. Or celle ci progresse fortement. ce qui pose problème c’est ce qu’on ne connait pas. Or une enquête nationale de victimation a montré que, sur 17 millions de troubles subis, seuls 5 millions sont connus. Les 12 millions de faits non déclarés concernent surtout les femmes, les jeunes et les immigrés, souvent victimes de violences intrafamiliales.
Nicolas Sarkozy s’exprime comme ministre de la police. Il n’est pas en charge du reste des affaires publiques. C’est un débat politique. La manière dont il s’exprime peut justifier des commentaires. Je les ai exprimes.
La politique du tout-répressif a-t-elle entraîné une mutation de la délinquance et de la criminalité ?
– La mutation a commencé avant l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, au milieu des années 1990. A cette période, on était loin du tout répressif. Les gens préfèrent tenter de régler leurs problèmes à leur manière plutôt que de faire confiance aux institutions. La réponse de Nicolas Sarkozy est bonne pour la police, mais c’est vrai qu’elle est loin de résoudre le problème social.
Par Alain Bauer – Criminologue
Le 22 Septembre 2006